L’un des plus grands défis
actuels en matière de productivité et de sécurité des entreprises résulte de la
confrontation sur les lieux de travail entre les gadgets personnels des jeunes
cadres – smartphones, bloc-notes et ordinateurs tablettes, avec toutes les
applications qui y sont
embarquées : réseaux sociaux et autres services personnels –, et les
systèmes d’information centraux des sociétés. La crainte des directeurs des SSI
est celle de la prolifération d’une « informatique de l’ombre » et de
sa vulnérabilité : tant il est vrai que sur la plupart des smartphones et
des tablettes (« tablettes tactiles » ou « ardoises
numériques ») on peut à distance effacer des contenus, qu’on peut les
localiser par leurs fonctions GPS, et que divers malwares – des virus ou
des « chevaux de Troie » programmés pour détruire ou voler des
données –, éclatent régulièrement, le système Android de Google étant une cible
particulièrement prisée par les hackers. Mais le plus grand risque est celui
que représentent les employés eux-mêmes, qui ne verrouillent pas leurs outils
de communication mobiles, ou se contentent de mots de passe triviaux…
L’une des réponses à ce défi,
aux Etats-Unis, ce sont les « bureaux virtuels », les virtual
desktops qui laissent les employés utiliser leurs terminaux personnels mais
sauvegardent les données sur les serveurs protégés par des pare-feu d’un
opérateur spécialisé. Une autre réponse, celle de très grands groupes mondiaux,
est d’autoriser l’usage professionnel des mobiles et de leurs services
personnels intégrés en permettant l’accès aux systèmes centraux –, pourvu que
l’employeur y ait installé son propre antivirus et un programme de chiffrement,
et se réserve le droit, si besoin est, d’effacer tout ou partie des données
stockées sur lesdits mobiles personnels.
Catherine Langlois est secrétaire
de direction à la direction générale d’une grande société dont le siège se
trouve dans les quartiers d’affaires à l’ouest de Paris. Elle a une formation
universitaire, elle est polyglotte ; fille et sœur d’ingénieurs, elle
n’est pas réfractaire à la technique, et parmi ses amis « jeunes
quadras », on trouve même des post-cyber punks ! Mais elle a aussi un
défaut : elle fume, certes des cigarettes ultra légères, mais tout de même
très régulièrement.
Ce petit défaut s’accompagne d’un
autre : c’est qu’à la pause cigarette dans l’espace fumeur – en fait
l’esplanade aux pieds de sa tour –, avant même de sortir son briquet, elle
ouvre l’application Facebook de son iPad : elle chatte, elle poste ses
pensées sur son mur, partage des liens, et surtout, surtout, son péché mignon,
elle joue ! Elle joue à CityVille, sa passion ! Welcome to
CityVille, where you and your friends can build the city of your dreams!A
l’heure du déjeuner, quand elle a un peu plus de temps, elle règle certains
petits détails sur YouTube, ne serait-ce que pour vérifier ce qu’elle a
commencé à la maison la veille au soir : car Mlle Langlois
est une adepte des services de peer-to-peer,file-sharing et ce qu’on
appelle une prosumer (mot-valise de producer et consumer,c’est-à-dire
une consommatrice qui est aussi une créatrice de contenu… Outre YouTube,
Catherine est familière de Vimeo, pour ses vidéos également, de Picasa, Flickr
et Instagram, pour ses photos (le dernier étant son favori car il lui permet de
poster instantanément ses clichés sur sa page Facebook). Une amie vient de lui
parler de Fantasy Shopper et du phénomène de social shopping, un hybride
entre le jeu et l’activité dans le monde réel, avec utilisation d’argent
virtuel…, dans l’esprit de ce que les inventeurs appellent gamification
(« ludification » ?) : rendre ludiques (en ligne) les
activités de la vie réelle… Il faudra que Catherine essaye.
En quoi elle est parfaitement
emblématique des nouveaux sujets et comportements de la modernité, tout en
étant par ailleurs dans son métier une professionnelle exemplaire et
responsable. C’est pourquoi du reste l’intelligence de Catherine est en éveil
permanent, elle doute, et se souvient d’une conversation qu’elle a eue il y a
plusieurs mois à Londres avec son frère qui y travaille dans un grand cabinet
d’audit. Elle avait passé quelques jours seule dans l’appartement de ce frère
alors qu’il était en voyage. Et été horrifiée à plusieurs reprises en entendant
la machine à laver se mettre à gargouiller puis vibrer violemment, le poste de
télévision s’allumer puis tomber en panne, comme aussi la stéréo et les
enceintes, ainsi que plus tard l’imprimante de l’ordinateur, elle aussi
inexplicablement hors service après s’être lancée toute seule… Il avait fallu
que, pour la rassurer sur l’inexistence des fantômes, son frère explique à
Catherine la cause de ces mystères : son appartement se trouvait dans une
maison de West End proche de l’ambassade de Chine et de la résidence de
l’ambassadeur de Turquie. Lors de son absence, ce fut facile à vérifier dans
les journaux, les activités internationales de ces deux pays – chacun de son
côté –, avaient été particulièrement denses et nombreuses, d’où les brouillages
permanents et puissants émanant des postes diplomatiques du voisinage ! Et
outre la folie des appareils domestiques, le déclenchement intempestif
d’alarmes stridentes dans tout le quartier…
C’est elle-même qui nous a raconté
cette histoire ; elle s’était donc montrée très avertie, et avait conclu
assez drôlement, à propos des risques de piratage de l’Internet mobile, que
nous n’étions pas en Californie et qu’elle n’était heureusement pas – ou
peut-être malheureusement pas ? –, Scarlett Johansson ou Vanessa
Hudgens : que donc aucun hackerazzo n’allait voler ses photos sur
son téléphone…