Quand, en période de blocage des raffineries, on a 15 litres dans le réservoir de sa voiture, qu'on habite en ville, et qu'on consomme 5 litres par jour en roulant une heure en moyenne, a-t-on intérêt à faire la tournée des stations pour essayer de faire le plein ou vaut-il mieux ne rien changer à ses habitudes quotidiennes ? Si l'on peut facilement évaluer pour chaque agent la fonction d'utilité de l'essence en fonction de sa profession et de ses possibilités de transport alternatif, il est en  revanche plus difficile de quantifier la probabilité de trouver une station ouverte. Et il est donc impossible de déterminer avec pertinence l'optimum de satisfaction, au sens de Pareto. A la question posée, un économiste honnête se doit donc de répondre qu'il ne sait pas répondre.

Les choses sont plus simples pour un philosophe. Il peut toujours reformuler l'interrogation en la forme kantienne : que se passerait-il si tout le monde se mettait à rouler pour faire le plein ? Il y a environ 13 500 stations services dans l'Hexagone. Si l'on estime à 50 000 litres la capacité moyenne d'une station, toutes qualités confondues, le potentiel de stockage du réseau de distribution ressort à 675 millions de litres, un nombre qui paraît cohérent avec les 17 000 millions de litres annoncés des réserves stratégiques. On dénombre environ 25 millions de véhicules. Avec une consommation moyenne de 5 litres par heure, il suffirait de moins de six heures pour que toutes les stations services soient à sec si tous les propriétaires d'automobiles décidaient de partir au même moment à la recherche de carburant. Un philosophe responsable recommandera donc de rester chez soi.

Sartre l'a d'ailleurs bien dit : "L'existence précède l'essence".

Jean-Jacques Salomon

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