Des kyrielles d'éloges et d'injures
07-06-2020
Facebook!  Partager sur Twitter
 
A la descente de voiture on est assailli par une foule de commissionnaires qui se distribuent vos effets et se mettent une vingtaine pour porter une paire de bottes : ceci n'a rien que d'ordinaire ; mais ce qui est plus drôle, ce sont des espèces d'argousins apostés en vedette par les maîtres des hôtels pour happer le voyageur au passage. Toute cette canaille s'égosille à débiter en charabia des kyrielles d'éloges et d'injures : l'un vous prend par le bras, l'autre par la jambe, celui-là par la queue de votre habit, celui-ci par le bouton de votre paletot : « Monsieur, venez à l'hôtel de Nantes, on est très-bien ! — Monsieur, n'y allez pas, c'est l'hôtel des punaises, voilà son vrai nom, se hâte de dire le représentant d'une auberge rivale. — Hôtel de Rouen ! hôtel de France ! crie la bande qui vous suit en vociférant. — Monsieur, ils ne nettoient jamais leurs casseroles ; ils font la cuisine avec du saindoux ; il pleut dans les chambres ; vous serez écorché, volé, assassiné. » Chacun cherche à vous dégoûter des établissements rivaux, et ce cortége ne vous quitte que lorsque vous êtes entré définitivement dans un hôtel quelconque. Alors ils se querellent entre eux, se donnent des gourmades et s'appellent brigands et voleurs, et autres injures tout à fait vraisemblables, puis ils se mettent en toute hâte à la poursuite d'une autre proie. 

Théophile Gautier, Voyage en Espagne, 1843






jjsjpeg

 

 

 

 

 

 

   

Jean-Jacques Salomon

Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir