Ma première fois |
12-01-2020 | ||
J’ai un
souvenir précis de ma première fois.
C’était avec
une secrétaire, dans un couloir. Là où je travaillais alors, je cumulais les
fonctions de directeur général et d’expert en orthographe. Double casquette
assez
courante dans le
monde professionnel.
Un ethnologue
qui se serait penché sur les déplacements dans l’entreprise n’aurait pas manqué
de remarquer que, pour les jeunes commerciaux, le chemin le plus court d’un bureau
à un autre passait
souvent devant celui de ladite secrétaire. Joviale, sans ornements, elle avait
un je ne sais quoi de la Brigitte Bardot du Repos du guerrier et, bien
que les canons de la beauté eussent changé depuis la Nouvelle Vague, elle
exerçait autour d’elle une attraction à laquelle peu résistaient. D’une grande
rigueur professionnelle, elle s’imposait aussi une discipline personnelle sans
écart. Jamais elle n’avait laissé d’espérances à ceux qui venaient rôder à sa porte.
Une fois où
je passais par-là moi-même, la jeune femme me lança, fortissimo :
« Claude, les bons moments que nous avons passés ensemble… » Puis, mezza voce, après avoir capté mon attention : « passés, avec un ‘s’ ou pas ? »
Dans les
bureaux voisins, on n’entendit que la première partie de la phrase.
Radio-moquette se chargea de la suite. Par la magie d’une hésitation
orthographique, je me trouvai dans l’instant élevé au rang de Don Juan.
Ce jour-là,
je me suis dit que les fautes d’orthographe avaient des vertus méconnues.
Jean-Jacques Salomon (Claude Lussac) Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir |
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