Comme entre les jambes du colosse de Rhodes
20-01-2022
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"Le jour baissait quand on arriva à Cubzac. Autrefois, l’on passait la Dordogne dans un bac, la largeur et la rapidité de ce fleuve rendaient la traversée dangereuse, maintenant le bac est remplacé par un pont suspendu de la plus grande hardiesse : l’on sait que je ne suis pas très grand admirateur des inventions modernes, mais c’est réellement un ouvrage digne de l’Égypte et de Rome par ses dimensions colossales et son aspect grandiose. Des jetées formées par une suite d’arches dont la hauteur s’élève progressivement vous conduisent jusqu’au tablier suspendu. Les vaisseaux peuvent passer dessous à toutes voiles comme entre les jambes du colosse de Rhodes. Des espèces de tours en fonte fenestrée, pour les rendre plus légères, servent de chevalets aux fils de fer qui se croisent avec une symétrie de résistance habilement calculée ; ces câbles se dessinent dans le ciel avec une ténuité et une délicatesse de fil d’araignée, qui ajoutent encore au merveilleux de la construction. Deux obélisques de fonte sont posés à chaque bout comme au péristyle d’un monument thébain, et cet ornement n’est pas déplacé là, car le gigantesque génie architectural des Pharaons ne désavouerait pas le pont de Cubzac. Il faut treize minutes, montre en main, pour le traverser."
 
Théophile Gautier, Voyage en Espagne, 1859