
"Généralement, les personnes qui n’auront jamais de démêlés avec la justice conçoivent les idées les plus noires sur la mise au secret. L’idée de justice criminelle ne se sépare point des vieilles idées sur la torture ancienne, sur l’insalubrité des prisons, sur la froideur des murailles de pierre d’où suintent des larmes, sur la grossièreté des geôliers et de la nourriture, accessoires obligés des drames ; mais il n’est pas inutile de dire ici que ces exagérations n’existent qu’au théâtre, et font sourire les magistrats, les avocats, et ceux qui, par curiosité, visitent les prisons ou qui viennent les observer. Pendant longtemps ce fut terrible. Il est certain que les accusés étaient, sous l’ancien Parlement, dans les siècles de Louis XIII et de Louis XIV, jetés pêle-mêle dans une espèce d’entresol au-dessus de l’ancien guichet. Les prisons ont été l’un des crimes de la révolution de 1789, et il suffit de voir le cachot de la reine et celui de madame Élisabeth pour concevoir une horreur profonde des anciennes formes judiciaires. Mais aujourd’hui, si la philanthropie a fait à la société des maux incalculables, elle a produit un peu de bien pour les individus. Nous devons à Napoléon notre Code criminel, qui, plus que le Code civil, dont la réforme est en quelques points urgente, sera l’un des plus grands monuments de ce règne si court. Notre nouveau Droit criminel ferma tout un abîme de souffrances. Aussi, peut-on affirmer qu’en mettant à part les affreuses tortures morales auxquelles les gens des classes supérieures sont en proie en se trouvant sous la main de la Justice, l’action de ce pouvoir est d’une douceur et d’une simplicité d’autant plus grandes qu’elles sont inattendues. L’inculpé, le prévenu ne sont certainement pas logés comme chez eux ; mais le nécessaire se trouve dans les prisons de Paris. D’ailleurs, la pesanteur des sentiments auxquels on se livre ôte aux accessoires de la vie leur signification habituelle. Ce n’est jamais le corps qui souffre. L’esprit est dans un état si violent que toute espèce de malaise, de brutalité, s’il s’en rencontrait dans le milieu où l’on est, se supporterait aisément. Il faut admettre, à Paris surtout, que l’innocent est promptement mis en liberté."
Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, Où mènent les mauvais chemins, 1847
Jean-Jacques Salomon
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