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Le second Cartel
13-01-2019
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Après les élections législatives de mai 1932, Edouard Herriot revient au pouvoir à la tête du second Cartel des gauches. Tirant l'enseignement de l'échec du premier, il poursuit une politique de réduction des déficits. A l'époque, rien n'interdit de diminuer le traitement des fonctionnaires. Cette voie est envisagée. Charles Laurent, Secrétaire de la Fédération générale des Fonctionnaires, syndicaliste socialiste, le met en garde en novembre 1932. Herriot n'aura pas le temps de mener à bien son projet : son gouvernement est renversé en décembre. L'article de mise en garde que signe Laurent dans Marianne sous le titre "Où allons-nous ? Contre la réduction des fonctionnaires" mérite d'être cité in extenso :
 
"Ceci n'est pas un appel à mes camarades, mais à la raison. Je n'entends point m'élever systématiquement contre les projets gouvernementaux, mais démontrer leur nocivité, et montrer au public que l'opinion qu'on lui fabrique actuellement ne repose ni sur la justice, ni sur la logique. On sait que le gouvernement propose de diminuer les traitements des fonctionnaires de 2 à 10%, au-dessus d'un minimum non imposable de 12.000 francs, et de réduire également les indemnités, sauf celles concernant les charges de famille. Ces propositions s'appliquent, non seulement aux fonctionnaires d'Etat, mais à ceux des départements et des communes. On a dit que les cheminots échapperaient à ce coup de tondeuse brutal. Il n'en est rien. Ce n'est un secret pour personne que les Compagnies de chemins de fer ont déjà préparé les nouvelles échelles de traitements. Le gouvernement dira qu'il veut supprimer le déficit, que les affaires vont mal, et qu'il faut se sacrifier. Nous répondrons qu'en matière de sacrifices, le fonctionnaire a déjà donné quelques exemples dont il n'est pas défendu de se souvenir.
 
Fonctionnaire-roi, fonctionnaire privilégié, tels sont les vocables dont nous sommes trop souvent affublés. Un malentendu, savamment exploité et développé par certains journaux, nous éloigne du public, auquel nous sommes présentés comme des indésirables que n'atteint pas la crise. Faut-il rappeler que les nouveaux traitements des fonctionnaires ont été construits en fonction de la dévalorisation monétaire, et appliqués avec quelque retard  Faut-il répliquer, pour répondre à ceux qui nous disent : « Si nous ne payons plus l'impôt, qui vous paiera ? » que les fonctionnaires sont les premiers à payer l'impôt sur leur traitement intégral, et qu'ils s'acquittent avec une célérité qu'on aimerait rencontrer plus souvent. Faut-il enfin en appeler à la raison du public français, à sa réflexion, pour lui montrer qu'il a tort d'écouter ceux qui l'excitent contre nous ?
 
Comment ne pas comprendre que dans tous les postes, même les plus simples, il est essentiel d'avoir des serviteurs irréprochables. Qu'arriverait-il si, demain, le douanier, l'humble facteur rural cessaient d'être ce qu'ils sont : des hommes honnêtes et dévoués ? Qu'on y réfléchisse avant de nous juger ! Dans une démocratie où les hommes passent vite, il est indispensable de posséder une armature de fonctionnaires défendant les biens de, la nation contre les intérêts privés. L'heure est venue où cette défense va devenir difficile ; nous l'assurerons tout de même. Nous savons bien que, dans le pays, certaines forces, certains groupements souhaitent voir baisser la qualité des fonctionnaires. afin d'avoir les coudées plus franches. Il reste à savoir si leurs désirs seront satisfaits.
 
Devant les projets gouvernementaux, notre attitude est nette, et notre congrès a pris les décisions suivantes :
1° Dénoncer publiquement les fraudeurs de l'impôt dont les agissements sont préjudiciables aux contribuables honnêtes et aux finances publiques ;
2° Engager tous les fonctionnaires et agents des services publics à boycotter ceux des commerçants qui ont l'inconséquence de s'associer à la campagne de réduction des traitements et salaires. 
 
Enfin, une action concertée est prévue, et se développera sous l'égide du Cartel Confédéré des services- publics ; et les deux moyens suivants seront particulièrement employés :
1. Perturbation systématique des services publics par application stricte des règlements, le ralentissement de l'activité professionnelle, etc., suivant les modalités propres à chaque organisation ;
2. Cessation éventuelle simultanée et généralisée du travail dans toutes les branches des services publics.
 
La situation est donc parfaitement claire, et le gouvernement est pleinement édifié sur notre état d'esprit et nos intentions. Nous sommes opposés à la baisse des traitements parce que nous avons le droit de vivre. Cette opposition qui, je le répète, n'est pas systématique, disparaîtra le jour où le coût de la vie aura baissé notablement A cet égard, rien n'a été fait ni obtenu jusqu'ici. Il n'y a pas chez nous de mauvaise volonté, mais que l'on y songe, il y a de la volonté.
 
Si les propositions gouvernementales sont maintenues et aboutissent, je puis prédire sans crainte des heures graves et douloureuses. Il y aura des mouvements sérieux dont il paraît diffIcile de déterminer l'ampleur. Je ne songe pas seulement aux grèves, mais à l'action de nos camarades des Finances, auxquels on a fait le regrettable honneur de les frapper avec une particulière sévérité. Croyez-vous qu'au moment où l'on a besoin d'eux, il soit très habile d'agir de la sorte ? N'allons pas plus loin ! J'ai voulu attirer l'attention par des faits, non par des paroles sentimentales. Si notre appel ne devait pas être entendu, nous aurions le regret de nous défendre, qu'on y songe encore ; nous ne parlons pas à la légère d'un sujet que nous considérons comme vital."
 
Charles Laurent, Secrétaire de la Fédération générale des Fonctionnaires  

      
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